Entrevue avec Anna-Sophie Neher et Hugo Laporte
Par Benjamin Goron
À l’occasion du Concours OSM, qui sera consacré au chant cette année, nous avons rencontré deux anciens lauréats : la soprano Anna-Sophie Neher (1er prix en 2017) et le baryton Hugo Laporte (Grand prix en 2014). Avec générosité et enthousiasme, les deux artistes ont partagé avec nous leurs réflexions sur la pratique professionnelle du chant et glissé quelques précieux conseils pour les candidat(e)s du Concours.
Le Concours OSM ou l’importance de « rester soi-même »
Les deux artistes gardent le souvenir impérissable de la finale à la Maison symphonique : « Je me souviens clairement de la fébrilité qui nous habitait lors de notre entrée sur la scène de la Maison symphonique, Jérémie Pelletier – mon pianiste-collaborateur – et moi! », se rappelle Hugo Laporte. Un sentiment partagé par Anna-Sophie Neher : « Je me souviens encore de mes premières notes à la finale du Concours. C’est la première fois que je chantais dans une aussi bonne acoustique. J’avais l’impression de m’amuser avec la salle, de l’utiliser pour créer des effets, d’essayer de nouvelles choses. »
J’avais l’impression de m’amuser avec la salle!
– Anna-Sophie Neher, 1er prix du Concours OSM 2017
Cette année, les participant(e)s n’auront malheureusement pas la chance de concourir dans la salle, puisque l’édition est entièrement numérique. Toutefois, le ou la lauréat(e) se produira en janvier 2022 à la Maison symphonique, lors d’un concert avec l’OSM et Rafael Payare. L’édition virtuelle comporte son lot de défis, comme le rappelle Hugo : « Je trouve que c’est un gros défi d’interpréter une œuvre sans la présence d’un public. Le public donne une énergie, incite à s’abandonner à l’œuvre, à la musique, au drame… Si j’étais candidat, je prendrais plus de temps à me préparer mentalement à chanter sans public. D’abord, je ‘‘casserais’’ mon programme devant quelques personnes, puis le referais un autre jour sans public. J’alternerais ainsi à quelques reprises autant que possible afin d’être capable de me mettre dans un état optimal pour interpréter sans public. » Comme le précise le baryton, « un concours n’est pas une lutte contre d’autres candidats. Vous n’avez aucun contrôle sur la prestation des autres candidats, seulement sur la vôtre! Il faut qu’on sente le plaisir que vous ressentez à jouer de votre instrument, à interpréter chaque œuvre de votre programme. » De son côté Anna-Sophie insiste sur le fait de « rester soi-même sur scène autant qu’hors de la scène et d’être doux et compréhensif envers sa voix, soi-même et les autres ».
Vocalises et postillons en temps de pandémie
Il était bien difficile de prédire que la projection vocale, tant recherchée et admirée chez les artistes vocaux, les priverait de scène dans le contexte de pandémie. Ceux-ci ont en effet été particulièrement touchés par les mesures de distanciation imposées au domaine des arts. Si elle n’a pas pu se rendre sur place, Anna-Sophie a néanmoins pu poursuivre de la maison sa formation au sein de l’Ensemble Studio de la Canadian Opera Company : « Bien évidemment, nous n’avons pas monté d’opéra, mais ça nous a permis de travailler sur beaucoup d’autres aspects de l’opéra pour lesquels nous manquons souvent de temps. » Hugo, quant à lui, a dû faire face aux aléas de l’incertitude : « J’ai rapidement arrêté d’espérer le retour à la normale, parce que sinon, j’étais constamment déçu. J’ai commencé peu à peu à faire des projets virtuels, sur les réseaux sociaux ou sur des plateformes de diffusion. » Ce retour à la normale est arrivé peu à peu, d’abord à l’Opéra de Québec en mai 2021, puis au Festival d’Opéra de Québec en juillet. De son côté, Anna-Sophie est reconnaissante envers l’OSM d’avoir pu lui permettre un retour sur scène dès décembre 2020 : « Je ne suis pas prête d’oublier le concert du Messie en décembre. C’étaient mes débuts avec l’OSM, sous la direction du maestro Bernard Labadie que j’admire beaucoup. Et j’étais enceinte de plus de sept mois! Après plusieurs mois dans mon petit studio, c’était magique de chanter ailleurs et de partager la scène avec des amis et des collègues. »
En donnant à de nombreux artistes l’occasion de se produire tout au long de la pandémie, l’OSM leur a permis de se raccrocher à leur art. Le Concours OSM a joué le même rôle en soutenant la relève musicale canadienne, elle aussi durement touchée par les annulations en chaîne. Alors que les salles rouvrent leurs portes et que le public redécouvre l’importance du concert « en présentiel », les projets reviennent pour les deux jeunes artistes. Anna-Sophie est actuellement à Paris, où elle chante le rôle d’Antigone dans Œdipe d’Enesco, du 20 septembre au 14 octobre 2021, alors qu’Hugo est à l’affiche de plusieurs orchestres et maisons d’opéra au Québec. Tous deux font partie d’un projet de grande envergure : l’enregistrement de l’intégrale des mélodies de Massenet par la fine fleur des voix québécoises.
Idées reçues et conciliations
Anna-Sophie est devenue jeune maman pendant la pandémie et Hugo élève quant à lui deux jeunes enfants. Mais est-ce qu’une jeune famille est compatible avec la carrière de chanteur(-euse)? Loin des idées reçues selon lesquelles la carrière exige un sacrifice total de sa vie personnelle, Hugo et Anna-Sophie sont des exemples de conciliation de ces deux mondes : « C’est certain que la famille et la carrière peuvent entrer en conflit à l’occasion, voire même régulièrement. Il faut s’entendre avec sa/son partenaire et contribuer de son mieux à la vie familiale. C’est tout à fait possible et il y a de nombreux exemples dans le milieu artistique pour le prouver! », rappelle Hugo. Selon Anna-Sophie, on peut créer une carrière sur-mesure correspondant à nos besoins : « Une carrière de chanteuse ne veut pas nécessairement dire qu’on est toujours partie chanter à l’étranger. On crée la vie qu’on veut en fonction de ce qui est important pour nous. » En emmenant son tout jeune bébé à Paris avec elle, Anna-Sophie est la preuve qu’on peut partir chanter à l’Opéra de Paris tout en étant proche de sa famille!
3 aptitudes pour faire carrière en chant lyrique, par Hugo Laporte
1. Le dépassement : Il faut constamment se donner de nouveaux objectifs, vouloir faire mieux et savoir se remettre en question à l’occasion, sans être trop sévère envers soi-même. C’est lorsqu’on pense être rendu qu’on arrête d’avancer.
2. La santé vocale : Une technique vocale saine et solide est indispensable, un travail qui se poursuit tout au long de la carrière.
3. La passion : Il faut faire ce métier par passion pour l’art. La carrière de musicien est très exigeante et les avantages pas nécessairement attrayants, si ce n’est l’immense sentiment de satisfaction que nous apporte la pratique de notre art.
En dehors de l’opéra, les deux artistes ont une vie bien animée. Hugo pratique la photographie, un talent que l’on peut constater en visitant son site web. Anna-Sophie vient de s’installer à la campagne et projette d’accueillir quelques poules dans sa cour d’ici l’an prochain. Les projets ne manquent pas pour ces deux lauréat(e)s du Concours OSM : artistes accomplis dont la carrière est en plein essor, passionné(e)s par leur art qu’ils pratiquent quotidiennement, ils sont la preuve de la pertinence de tremplins comme le Concours OSM. Au-delà des conseils du jury et des bourses d’études, le Concours permet d’insuffler un brin de magie pour nourrir la passion et la curiosité de ceux et celles qui fouleront demain les planches des plus grandes salles du monde entier.